
Le rapport du Bretton Woods Project est disponible en format PDF.
Résumé
Au cours des siècles derniers, le monde a oscillé entre mondialisation et démondialisation de la finance avec, pour conséquence, des résultats radicalement différents. Un historique à long terme nous montre que le système actuel de liberté relative dont jouissent les flux financiers pour dépasser les frontières sans aucune règlementation constitue davantage une anomalie de l’histoire qu’une situation normale. La libéralisation des flux financiers internationaux devrait être considérée comme une intervention rare et significative, dans la mesure où la finance s’est toujours développée à l’échelle nationale, de manière règlementée.
Après l’effondrement du système financier, en 2008, le rôle des flux de capitaux internationaux, qui peuvent avoir des conséquences aussi bien positives que potentiellement dévastatrices, a été à nouveau remis en question. Les pays qui redoutaient le plus la crise étaient ceux qui pratiquaient le plus grand nombre de politiques de dérèglementation et de libéralisation en faveur des entrées de capitaux. Le présent rapport explique les inconvénients, notamment en termes de développement, des politiques de dérèglementation des mouvements de capitaux internationaux, et apporte des suggestions pour une nouvelle approche pragmatique de la règlementation des flux financiers, afin de garantir stabilité et développement.
Depuis 2009, nombre d’économies en développement et émergentes ont développé des règlementations et des contrôles sur les entrées de capitaux afin de faire face aux vagues subites d’entrées de capitaux en provenance de l’étranger. Ces mesures ont eu lieu dans un environnement caractérisé par des flux croissants et toujours plus volatils en direction des pays en développement. En 2010, ces flux ont atteint 1,095 billion de dollars, une valeur uniquement dépassée par le pic atteint en 2007.
Cependant, les données empiriques montrent que les mouvements de capitaux de cette ampleur et de cette rapidité deviennent de plus en plus problématiques. Les flux de capitaux entraînent un certain nombre de risques, tels que le risque de change, le risque de fuite, le risque de fragilité, le risque de contagion et le risque de souveraineté. Les experts économiques s’accordent à dire que les rebonds et les ralentissements des flux de capitaux contribuent aux crises financières et bancaires. Bien plus que des événements accaparant les gros titres, ces crises génèrent un large éventail d’impacts sociaux négatifs. La manière dont sont gérés les flux financiers a un impact sur la répartition des richesses, la pauvreté, le bien-être des enfants, la promotion économique des femmes et le chômage. Ces impacts ne sont pas uniquement générés par la crise, dans la mesure où les périodes de prospérité peuvent également entraîner des problèmes d’inégalités et de désindustrialisation. Par ailleurs, la libéralisation totale du compte de capital facilite également l’évasion et la fraude fiscales.
D’un autre côté, l’histoire économique montre que les pays étant parvenus à se développer se sont appuyés sur les capitaux étrangers, sans que ces derniers ne soient arrivés par le biais de comptes de capital totalement ouverts. D’une manière générale, des investissements d’une durée plus longue et fournissant des avantages ou des retombées supplémentaires sont plus souhaitables. Une meilleure gestion, plus pragmatique, du compte de capital peut également contribuer à réduire les déséquilibres macroéconomiques mondiaux en diminuant la demande en faveur des réserves de change préventives, en améliorant la capacité des pays à développer des politiques fiscales et monétaires indépendantes et en gérant potentiellement d’importantes entrées et sorties de capitaux.
Les pays en développement s’efforcent déjà d’exercer une plus grande influence sur les vagues subites d’entrées de capitaux, et un grand débat a eu lieu sur l’efficacité des outils utilisés. Il doit être clair qu’aucun outil macroéconomique ne sera jamais parfait. Bien que les règlementations portant sur le compte de capital puissent être efficaces pour étendre l’horizon d’investissement attendu et modifier la composition des flux financiers entrants, il existe des éléments contradictoires quant à leur impact sur les volumes de ces flux et sur l’appréciation du taux de change. Certaines des orientations politiques nationales les plus efficaces se trouvent en Inde et en Chine, deux pays qui maintiennent des contrôles importants sur le compte de capital et qui demeurent au rang des économies connaissant la croissance la plus rapide. À travers la planète, plusieurs mesures ont été utilisées avec succès par différents pays, dont notamment des limites sur l’investissement direct étranger, des restrictions de change, des contrôles quantitatifs des entrées de capitaux, des contrôles des sorties de capitaux, des taxes sur les entrées de capitaux, des règlementations bancaires et des restrictions sur l’émission de dérivés.
Malgré les importants risques sociaux qu’implique la non-règlementation des flux financiers, les dispositions internationales relatives à la gestion du compte de capital sont peu centralisées et il n’existe aucun cadre mondial universel. La libéralisation massive des comptes de capital à laquelle on a assisté ces trente dernières années a été renforcée par une importante série de pressions internationales, d’origine diverse, y compris de la part du Fonds Monétaire International, de l’Organisation Mondiale du Commerce, des accords d’investissement et de commerce bilatéraux, de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques et de l’Union Européenne. Ces institutions constituent des obstacles significatifs à une utilisation plus efficace des règlementations pragmatiques relatives au compte de capital ; les groupes d’intérêts influents d’un point de vue politique, notamment dans les pays riches, gagneraient à essayer d’empêcher toute règlementation.
Bien que la plupart des règlementations relatives au compte de capital puissent faire l’objet d’une mise en ouvre unilatérale, il existe des contraintes concernant l’efficacité de ces outils pour certains pays, en particulier pour les petits pays en développement. Les potentiels effets secondaires non souhaités à l’échelle nationale peuvent être gérés en veillant à ce que les politiques et les investissements publics garantissent que les institutions financières et d’intermédiation financière nationales répondent aux besoins des populations pauvres et travaillent en faveur du développement durable. Les impacts de la mise en ouvre de règlementations sur les pays tiers semblent modérés et pourraient être traités sous réserve d’une meilleure coordination régionale de la règlementation.
Il sera encore plus efficace d’instaurer, dans les pays riches, des politiques visant à s’attaquer aux risques supposés par les flux de capitaux dans les pays d’origine. Ceci suppose une meilleure règlementation financière ; cependant, il convient d’examiner la possibilité d’adopter des politiques spécifiques pratiquées dans les pays d’origine en matière de flux de capitaux. Une plus grande coordination de la règlementation aux niveaux régional et international sur le compte de capital, notamment en ce qui concerne l’application des règles, aiderait les pays en développement à faire face aux flux financiers de manière plus efficace. Enfin, un accord plus ambitieux sur un cadre mondial pourrait renforcer les techniques de gestion compatibles entre pays d’origine et pays destinataires.
Les pays en développement et développés bénéficieraient de l’adoption d’une approche plus réaliste de la politique macroéconomique et des flux financiers internationaux, et la stabilité en serait augmentée. Le temps est venu d’un nouveau consensus, un consensus en faveur de politiques pragmatiques visant à acheminer les flux financiers pour le bien-être des populations, notamment dans les pays en développement. Au vu des événements de ces dernières années, il ne fait aucun doute que, bien que le chemin soit semé d’embûches, la réalisation d’une finance au service du développement est loin d’être hors de notre portée. Les organisations de la société civile et les mouvements sociaux constituent des moyens de pression essentiels pour entrevoir le changement politique ; cependant, leur action doit être complétée par une nouvelle façon de penser de la part de décideurs et d’acteurs financiers responsables.
À court terme:
- Les groupes de la société civile doivent reconnaître que les réformes des mécanismes de gestion des flux financiers internationaux et de la structure sous-jacente du système financier international sont importantes pour atteindre les objectifs fixés en matière de développement et pour exiger le changement.
- Les dirigeants des pays en développement ne devraient pas craindre la règlementation du compte de capital et devraient réfléchir de manière plus proactive aux coûts et aux avantages des différents types de flux de capitaux.
- Le FMI doit accepter que la règlementation du compte de capital peut être souhaitable à tout moment. Une fois qu’il aura accepté ceci et adopté une approche plus pragmatique, il pourra travailler aux côtés des pays pour les aider à élaborer les techniques les plus adaptées à leurs objectifs politiques.
- Les dirigeants et les institutions internationales concernées doivent instaurer un système international d’analyse et de partage des données afin de contribuer à la surveillance des mesures actuelles et nouvelles de règlementation des flux financiers.
À moyen terme :
- Les pays riches et les pays en développement doivent coordonner leurs actions afin d’éliminer les obstacles politiques résultant des traités d’investissement et des accords de libre-échange.
- Les dirigeants des pays en développement doivent être encouragés, notamment par leurs propres citoyens, à commencer à travailler à des stratégies régionales, afin de coordonner la gestion du compte de capital.
- Les pays riches doivent entamer de sérieuses discussions avec les pays en développement, au sein du FMI ou d’autres organes, sur les modalités selon lesquelles les pays d’origine peuvent contribuer de manière efficace à la stabilité des flux financiers augmentant les perspectives de développement.
- Les traités existants, tels que le Traité de Lisbonne dans l’UE, qui semble déjà devoir être renégocié, devraient être amendés afin de supprimer les exigences relatives à la libéralisation du compte de capital.
Le temps est venu d’un nouveau consensus: Réguler les flux financiers pour parvenir à la stabilité et au développement
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